Sélectionner une page

TUNISIE : Le difficile chemin vers la démocratie

Hatem NAFTI

Tunisie.

Vers un populisme autoritaire ?

La « Révolution de Jasmin » a projeté la Tunisie en avant lui donnant un rôle de précurseur et de locomotive dans ce que l’on a appelé « Le Printemps arabe ». Certains observateurs la considèrent comme un laboratoire d’idées politiques, sociales, économiques et religieuses. La réalité qui se fait jour au fil du temps semble ne pas tout à fait coïncider avec appréciation. Selon Haftem NAFTI « l’essoufflement de la démocratie participative, la précarisation des citoyens, la puissance des réseaux sociaux et l’étouffement des aspirations populaires participent aujourd’hui à la déconsolidation de la démocratie libérale et à l’avènement d’un populisme autoritaire ». Dix années se sont écoulés, et le pays paraît piétiner au grand dam de la population. Les rêves d’un quotidien et d’un avenir meilleur ne sont pas au rendez-vous. Le coup de force du Président Saïed (juillet 2021) marque un arrêt dans les choix d’une transition démocratique en douceur.

Les Editions Riveneuve propose un nouvel opus de Haftem NAFTI, « Tunisie. Vers un populisme autoritaire ? » permettant à l’auteur de relire ce qui s’est passé depuis les élections législatives et présidentielles, et de brosser un tableau de l’état des lieux. Pour ce faire, il reprend quelques évènements incontournables.

Dans un premier temps, il relève la forte pénétration du Parti Ennahada de Rached Ghannouchi. Quand le leader revient dans le pays après un exil de 20 ans, il est attendu et avec lui des espoirs refleurissent. D’ailleurs, en obtenant 42% des Sièges à l’Assemblée nationale constituante, il devient la première politique d’envergure. Ses appuis populaires, son réseau large et le matelas de ses finances conséquent lui donne un avantage certain auprès des secteurs conservateurs et des impatients de tourner la page de Ben Ali.

Sans doute que le Président Moncef Marzouki aurait pu être une alternative à Ennahda, mais la réalité politique a redistribué les cartes autrement… L’adage populaire dit que « tout ce qui brille n’est pas d’or » ; et c’est sans doute vrai pour Rached Ghannouchi qui semble se servir de l’élan révolutionnaire pour asseoir une autre dynamique dans le pays. La tentative populiste d’islamisation de la Tunisie a laissé émerger des courants islamistes plus radicaux engendrant des violences et des assassinats. La vague terroriste de 2013, toujours dans les mémoires des Tunisiens, est venu ajouter à cette situation très contrariée.

Ce qui se vit est regardé à la loupe non seulement par les autres nations arabes mais également par les forces politiques de ces dernières. Après Ben Ali, c’est le tour de Hosni Moubarak. Il est sorti du devant de la scène par le Maréchal Sissi qui taille en pièce à la fois l’ancien régime et le Parti des Frères musulmans. Le coup d’état militaire organisé sous une apparence lointaine démocratique interroge vivement le voisin tunisien. Ennahda négocie avec Béji Caïd Essebsi. Ils se partageront le pouvoir de 2014 à 2019 en espérant pouvoir se maintenir en lieu et place le plus longtemps possible. Pour arriver à leurs fins, ils poursuivent leur rapprochement avec des personnalités de l’ancien régime et des groupes politiques très liés avec l’ancien Raïs. On croyait cette époque révolue et la mouvance islamiste circonscrite, tenue, affaiblie… Il n’en n’est apparemment rien. En soutenant la Loi de réconciliation le Parti islamiste se propulse dans les avant-postes forts de la vie parlementaire en en devenant le bloc. Comme souvent en politique on ne doute de rien la volteface du Premier ministre, Youssef Chahed, vis-à-vis de ses engagements pris auprès de Béji Caïd Essebsi le conduit à rejoindre les vues du Parti islamiste ; qui le lui rend bien…

Ce nouveau livre de Haftem NAFTI explique et décortique tout à la fois les mécanismes politiques de la décennie postrévolutionnaire en explorant des expériences séminaires à d’autres époques et sous d’autres latitudes. Pour ce faire, il n’hésite pas à faire appel à des spécialistes, à des militants, au monde associatif, à des personnalités de la vie civile. La question centrale est de savoir si le régime populiste du Président actuel est un régime autoritaire ou non. L’affirmative, ici, serait de poser comme postulat que le « saïedisme » est un populisme autoritaire. Son agir politique fort met un terme à une démocratisation qui reste aussi fragile que le jasmin de la Révolution…

Les interrogations sont grandes encore aujourd’hui. Listons-en quelques-unes. La décision politique qui affirme « les conditions exceptionnelles » entraîne une tentative des dérèglementations, une modification des structures et des relais démocratiques, un remodelage de la société. Ce fut le cas avec la dissolution du Conseil supérieur de la Magistrature. Il est désormais possible parler de « décisionnisme ». Les manifestations du 25 juillet et des sondages favorables lui donnent la légitimité nécessaire pour renverser l’Ordre constitutionnel ; d’où la question sous-jacente de la légalité et de la légitimité. Où est le juste équilibre ? Est-on toujours dans un régime démocratique ou en passe de l’être ?

La droitisation du pays, et dans une certaine mesure l’islamisation de la Tunisie, favorise une vision conservatrice de la Société. Le conservatisme sociétal est une des marques fondamentales du Président Saïed. Sa vision programmatique et idéologique présente les principaux sujets clivants le domaine sociétal de la morale et de l’éthique. Il se prononce, par exemple, pour la peine de mort, contre l’homosexualité (réputée être perversion (choudhoudh), et contre l’égalité successorale. Selon lui, l’Occident financerait les homosexuels en vue de corrompre la Tunisie. Un complot serait en cours pour saper la société, et lui donnerait alors toute latitude pour adopter des décisions en face de « situations exceptionnelles ». La question des successions est essentiel pour la Tunisie système régissant les rapports entre les deux sexes, le changer reviendrait selon lui à briser l’ensemble. Cela est vrai dans encore de pays arabes) système régissant les rapports entre les deux sexes, le changer reviendrait selon lui à briser l’ensemble. Les deux questions qui y sont associés sont l’égalité des sexes et le statut de la femme, d’une part ; et d’autre part, le statut de la citoyenneté. Qui compte ? Qui est réputée être une personne avec l’entièreté de ses droits (de citoyens) ?

Le « conservatisme saïedien » a une vision verticale de la société et des rapports entre les personnes, entre les « inférieurs » et les « supérieurs ». La décision politico-économico-religieuse ne peut venir que par décision du Raïs. La vision est définitivement patriarcale. Elle cherche à neutraliser les contre-pouvoirs surtout après le 25 juillet 2021. Au niveau des instances parlementaires et de la vie sociale en dialogue la nouvelle Loi fondamentale a supprimé la plupart des instances constitutionnelles. Rached Ghannouchi et Kaïs Saïed tiennent le pays dans une main de fer, autocratique, conservatrice, antisociale, peu égalitaire et fraternelle. Le glissement vers l’autocratie est perceptible, et face au rejet des valeurs démocratiques et sociales, la montée du populisme tourne le dos à la révolution, à la volonté réformatrice efficace.

Que reste-t-il de la « Révolution de Jasmin », de cette première révolution ou Printemps Arabe ? On croyait la Tunisie sur des rails démocratiques, pour plus d’égalité et de fraternité, pour plus de justice sociale et plus d’égalité économique. Le pays marque un temps d’arrêt. La société civile, les Partis « de Gauche », les associations essayent de résister et de proposer (difficilement) une alternative. Le livre de Haftem NAFTI nous aide à faire le point sur ce pays que nous aimons tant, et où de très nombreux touristes Français et européens aiment aller se reposer. Après les nuages le soleil promet de revenir. Que reviennent les beaux jours à La Goulette, à Kairouan ou sur le bord des plages du Cap Bon…, et avec les Tunisiens nous pourront avec joie prendre un thé au « Café des délices » à Sidi Bous Saïd.

Nous vous invitons à lire l’ouvrage présenté par les Editions Riveneuve pour essayer de comprendre ce pays si proche, et si loin.

Hatem Nafti Tunisie. Vers un populisme autoritaire ? – Préface de Pierre Haski. Éditions Riveneuve, Oct. 2022 – (277 pages) – 22,50 €

Pour aller plus loin –
iReMMO – Tunisie, vers un populisme autoritaire ?

https://www.youtube.com/watch?v=l8xITYXMQUQ&t=1s

0 Commentaires

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *