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Maurice MERGUI, Un étranger sur le toit.

par | 24 Sep 2022 | Recension | 0 commentaires

Cette lecture est mal connue des chrétiens. Inversement, il faut reconnaître que les Juifs connaissent mal ce texte.

Le lecteur habituel des Evangiles n’a pas comme première habitude d’entrer dans l’univers de l’herméneutique et exégétique juive et pourtant, comme Monsieur Jourdain, il est plongé dans un univers judaïque sans même le savoir… Pour être davantage explicite, et concernant le livre de Maurice Mergui, il s’agit davantage de la lecture midrashique des Evangiles. « La tradition juive a développé, à côté de la lecture naïve, une manière très particulière de lire et d’expliquer l’Ancien Testament, qu’on appelle midrash. Cette lecture est mal connue des chrétiens. Inversement, il faut reconnaître que les Juifs connaissent mal ce texte ». (page 4)

Ce mot signifie en hébreu « étude ». Sa racine est celle du verbe « étudier avec exigence ». Il faudrait y ajouter une touche supplémentaire en disant qu’il désigne une « recherche » en profondeur, quelque chose que l’on vient scruter… Les rabbins – et tous les grands « scrutateurs juifs » de la Bible hébraïque – utilisent ces interprétations midrashiques que l’on distingue depuis le Moyen-Âge en deux types de midrash : le midrash halakha et le midrash aggada. Cette exégèse est principalement centrée sur un système parabolique, allégorique ainsi que métaphorique. Il produit du sens… Le commentateur met des textes en concordances (cf. l’intertextualité de la Bible) pour faire ressortir un sens plus profond et plus intérieur et sans doute plus à portée de celui qui reçoit le texte massorétique. Le midrash permet également de combler les vides laissés par le texte biblique tel qu’il a été transmis jusqu’à nos jours.

Le midrash porte sur les Livres de la Bible chrétienne (Pentateuque) : de la Genèse au Deutéronome. Le midrash permet de mieux comprendre le « setz em leben » c’est-à-dire l’arrière-plan littéraire du corpus des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nous appellerions cela aujourd’hui le « back ground ». Selon certains biblistes chrétiens, la lecture rabbinique permettrait d’approcher le texte évangélique sous des cieux nouveaux. Ces textes du Nouveau Testament seraient-ils alors un prolongement du texte massorétique et du midrash judaïque ? Donneraient-ils un éclairage nouveau, oriental et sémitique à notre lecture ? Le livre de Maurice Mergui essaye d’en donner une explication en quatre grandes parties (les guérisons, les conversions, les formations midrashiques et la reprise chrétienne). C’est sans doute cette dernière partie qui intéressera le lecteur chrétien. Les trois autres parties amènent à la quatrième, c’est-à-dire à la pointe fine de ce texte si instructif ! Comme pour le rabbin, Maurice Mergui capte l’attention du lecteur. On passe avec lui du sens littéral (pshat) au sens davantage allusif (remez). Il nous propose à la fois une exégèse (darah/midrash) et une mystique. Accroché mais quelques fois dérouté parce que notre approche « occidentale » manque de cette épaisseur sémitique et orientale pour aller au-delà du verset. Nous cherchons sans doute trop une lecture soit immédiate soit savante… Si nous acceptons cette nouvelle lecture comme possibilité exégétique et spirituelle, alors notre cœur en sortira sans doute renforcé.

Maurice Mergui tend à démontrer que le texte néotestamentaire s’apparente au midrash, et qu’il serait de même nature. Pour ce faire, il présente Dix thèses sur le Nouveau Testament. Il en serait son prolongement. Il fonctionne en permanence sous le régime de la double entente. Le Christianisme s’est édifié sur une lecture univoque de textes à double entente (page 205).

Le livre de Maurice Mergui nous aide à comprendre le terreau à partir duquel le texte néotestamentaire a été écrit, comment il nous permet de faire des parallèles avec le monde juif et le texte vétérotestamentaire. Il nous permet de saisir les méthodes d’écriture, de « prédication », et sans doute l’être même du Christ. Il y aurait donc une continuité entre la pensée rabbinique et midrashique et les textes chrétiens écrits dans toutes premières années du Christianisme. Il nous replace et/ou nous recentre dans un Temps eschatologique que nous avons parfois oublié… par méconnaissance ou désintérêt. Au lecteur sera proposée une « désacralisation » de l’approche biblique habituelle.

En fin de compte, certains diront que l’Evangile comme texte spirituel et fondateur du Christianisme est un texte écrit sur un fond midrashique. Nous y croisons un nombre important de midrashim chrétiens (Les Evangiles de l’Enfance, par exemple). Certains diront que, puisque le Nouveau Testament est une construction et/ou une relecture ou encore une paraphrase midrashique, alors Jésus-Christ est aussi un personnage historique construit. Jésus serait un personnage fictif. Quid du Christ historique ? Quid du Christ de la Foi ?
On regrettera une édition serrée n’offrant pas une lecture aisée de ce texte très intéressant pour entrer au cœur des mots qui composent… notre foi.

Maurice MERGUIUn étranger sur le toit. Ed. Nouveaux savoirs. Paris, Septembre 2003. 208 pages. 25 € 

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